Feuilles mortes et cabanes.

Ca va être bientôt le moment mais je sais que personne n’en profitera , je n’aurais que mes souvenirs, si vivaces encore.

1950.
J’ai 6 ans, papa travaille depuis 2 ans dans cette institution pour en enfants « arriérés » comme on dit à cette époque, les plus jeunes ont 6 ans les plus âgés 17, ils ont connu la guerre, viennent pour la plupart de milieu plus que défavorisé, ils ont un lourd passé de scolarité chaotique quasi inexistante, en arrivant ils ne savent pour ainsi dire ni lire ni écrire, ils sauront presque tous au bout de ces 12 ans ces d’ internat, ils rentrent dans leur famille une fois par an, aucun psy ne se penche encore sur les cas les plus difficiles, ce n’est pas la mode, le personnel n’est pas « spécialisé » mais beaucoup d’ enfants s’en sortent avec un métier, fondent une famille et reviennent régulièrement montrer leur réussite.

Fin octobre les feuilles mortes des marronniers du parc crissent sous leurs pas, et de caractériels notoires ces garçons qui dans leurs poches n’ont rien d’autres que quelques bouts de ficelle, des billes, une vielle photo des parents, se transforment en ingénieurs, architectes et chefs de travaux, plus rien ne viendra interrompre leur tâche : la construction de cabanes avec les feuilles de marronniers. Et ça, c’est un grand moment de l’année, de l’autre côté du grillage j’observe (ah si j’avais le droit d’y aller !) les murs prennent forme, 30 cm d’épaisseur, pas moins, les plus jeunes sont envoyés à la recherche de branches mortes, les moyens sont employés au ratissage des feuilles, des tas de plus de 2 m de haut se forment sous l’œil expert des grands qui passent bientôt à la construction proprement dite, le résultat n’a de nom que de cabane, je dirais plus maisonnette écologique, une entrée 2 ou 3 pièces, portes et fenêtres, une fois même ils ont fait un étage… au bout de quelques jours c’est un petit village qui est sorti de terre, les allées bien ratissées, ils sont fiers de leurs travail, font visiter, prennent un air modeste, et moi je suis toujours derrière mon grillage…

Les éducateurs pendant quelques jours ferment les yeux sur ce qui peut se passer à l’intérieur, ils savent bien que fumer les feuilles de marronniers ne durera qu’un temps car la finalité de ce mois de travail acharné ne se fait pas attendre, le meilleur moment de la construction c’est comme pour les château de sable… la destruction : 1 2 3 on démolliiiit, cri de guerre repris par tout le monde, en quelques heures tout est par terre, le bruit des feuilles est assourdissant, les rires emplissent le parc et moi je suis toujours derrière mon grillage, un jour je franchirai la ligne mais ceci est une autre histoire.

Qui a fait une cabane avec des feuilles, qui en fait encore ?

Hier moins de pluie, plus de soleil, moins de papiers par terre chez Maky, plus de classeurs rangés, un fauteuil apporté à Mr Letapissier, un sac d’agrafes ramené, un coup de fil d’ « Amidetoujours » encore une fois déconnecté, du désavantage d'habiter un site médiéval, le Wifi ne passe pas, une salade achetée 1€50, il y a sans doute écrit Crésus en lettre rouge sur mon front…et c’est tout.